Relations diplomatiques entre l'État moscovite et la Prusse du tsar Ivan IV le Terrible au tsar Alexeï Mikhaïlovitch Romanov
Relations diplomatiques entre l'État moscovite et la Prusse du tsar Ivan IV le Terrible au tsar Alexeï Mikhaïlovitch Romanov
A dater du XII siècle, les relations commerciales entre Novogòrod la Grande et les villes commerçantes allemandes prirent peu à peu une consistance et un développement prospères. A cette époque déjà les négociants d’au-delà des mers visitaient souvent l’île de Gothland et la ville Lubeck. À Novogòrod même, comme aussi à Pskow, les marchands allemands obtenaient en leur faveur des droits commerciaux très larges et acquéraient une position solide. La Hanse allemande était pleinement fondée à considérer «la cour allemande» de Novogòrod comme un de ses meilleurs marchés et pour le conserver, elle concluait des traités internationaux et faisait des guerres.
Néanmoins, ces relations commerciales ne pouvaient ni arriver à leur développement complet, ni produire un rapprochement réciproque entre les nations commerçantes. L’existence même de la ligue hanséatique n’était rendue possible que par l’anarchie qui régnait au moyen âge dans la vie intérieure des Etats et dans la sphère des rapports internationaux. L’accroissement du principe de l’autorité gouvernementale suprême dans les Etats allemands et la diminution graduelle du nombre des membres de la ligue hanséatique et de leur indépendance, enfin la formation dans le Nord de l’Allemagne d’un nouvel Etat animé de prétentions ambitieuses et d’aspirations énergiques, tout cela devait concourir à la décadence des relations internationales indépendantes entre Novogòrod la Grande et les villes hanséatiques. Mais il n’est pas douteux que le dernier coup porté à ces relations fut la conquête de Novogòrod par Moscou en 1478. Le grand prince Ivan Vassilievitch ferma la cour hanséatique à Novogòrod et fit arrêter les négociants allemands.
C’est ainsi qu’il fut mis fin à des rapports qui ne pouvaient ni faire connaître la nation russe aux Allemands, ni conduire à des alliances politiques solides. Les Allemands vivaient à Novogòrod sur le pied de guerre: leur cour ressemblait à un camp d’hommes armés au milieu d’ennemis plutôt qu’à la résidence de commerçants paisibles. Tous les efforts des négociants allemands étaient exclusivement dirigés vers l’augmentation de leurs franchises et de leurs droits aux dépens des droits et des intérêts du commerce et de l’industrie russes. Tout rapprochement effectif entre les Russes et les Allemands était mis hors de question par le seul fait que ni les uns ni les autres ne se reconnaissaient aucun intérêt commun. Quant aux habitants de Novogòrod, Pskow et Smolensk, c’est-à-dire des villes qui servaient de centre au commerce avec l’Allemagne, ils ne pouvaient se comporter à l’égard de leurs hôtes allemands qu’avec la plus grande circonspection et la plus grande défiance. Le désir de se familiariser d’une manière plus intime avec leurs mœurs et leurs idées ne pouvait pas s’éveiller chez ces «arrogants barbares du Nord». De même on eût vainement cherché chez les habitants de Novogòrod ou de Pskow de vastes combinaisons politiques de nature à les convaincre de la nécessité de cultiver la connaissance des Allemands et de profiter des forces de la Hanse pour réaliser des buts politiques quelconques.
D’après ces considérations, l’histoire des relations commerciales de Novogòrod la Grande, de Pskow et de Smolensk avec les villes allemandes n'offre qu'un intérêt scientifique, mais elle ne peut pas servir à expliquer les rapports politiques et internationaux qui s'établirent au XVI siècle entre l'Etat moscovite et le principal des Etats allemands-la Prusse. Dans les rapports de ces deux Etats l'intérêt politique se manifeste au premier plan dès l'origine de leurs relations immédiates. La conscience de la communauté de leurs intérêts spécialement politiques les amène à un rapprochement qui, avec le cours du temps, se développe de plus en plus et aboutit à une étroite alliance et à une solide amitié. A mesure que s'affermit dans la conscience des deux Etats la conviction de la nécessité de leur alliance en vue de la poursuite de leurs buts politiques, se développent aussi les relations pacifiques et commerciales entre les deux nations. Dans cette occasion les rapports commerciaux reçoivent leur extension sous le couvert des intérêts politiques qui unissent les deux gouvernements. Telle est l'explication de la situation respective incontestable de la Russie et de la Prusse, en vertu de laquelle, plus leur amitié est sincère, plus elles sont pénétrées toutes deux de la communauté de leurs intérêts politiques, plus aussi leurs relations commerciales se développent librement pour leur mutuel avantage. Cette vérité se révèle à travers toute l'histoire des rapports internationaux entre la Russie et la Prusse.
L'origine de leurs relations diplomatiques remonte à l'année 1516. Lorsqu'à cette époque Zabolotsky et ses compagnons, envoyés moscovites, revinrent de Vienne, le Grand-Maitre de l'Ordre Teutonique, prince souverain de Prusse, Albert, les pria de rappeler au grand prince Vassily Ivanovitch son vif désir de vivre en amitié et en alliance avec l'Etat moscovite. Le Grand-Maitre recherchait particulièrement l'alliance avec Moscou en vue de la lutte contre les Polonais qu’il détestait.
C’est ainsi que commencèrent les rapports diplomatiques directs entre la Russie et la Prusse. Les premières bases en furent posées par le Grand-Maître de l’Ordre Teutonique. Les motifs qui les avaient fait naître au commencement du XVI siècle continuèrent à exercer leur action par la suite, après que le Duché de Prusse se fût réuni au Margraviat de Brandebourg et que la main ferme du grand électeur Frédéric Guillaume eût placé la Prusse à la tête de l’Allemagne protestante. Autour de ces relations diplomatiques entre la Russie et la Prusse se groupa peu à peu la politique de tous les Etats allemands, à l’exception de l’Autriche. Les aspirations politiques de la cour de Prusse vers la Russie, devaient nécessairement réagir sur les rapports de tous les autres gouvernements germaniques avec ce pays.
Mais par quoi furent provoquées les premières relations entre la Prusse et la Russie? Par quels motifs peut on expliquer le rapprochement progressif qui s’opéra entre ces deux Etats? En quoi consistent le but et les bases rationnelles de la constante progression de leurs négociations diplomatiques?
Les rapports internationaux ne présentent pas une arène livrée au hazard aveugle ou à un grossier arbitraire. Les relations mutuelles entre les nations sont soumises à des règles précises et dépendent virtuellement de l’organisation intérieure des Etats et du degré de culture des peuples. Si l’on envisage d’un point de vue correct la marche progressive du développement de la Prusse et de la Russie, on se rendra facilement compte des causes premières qui ont été le point de départ de toutes leurs négociations et de tous leurs rapports internationaux. Jétons un coup d’oeil rapide sur ces causes, afin de faire bien comprendre l'histoire des mutuels rapports de ces deux Etats.
«Dans la vie politique, dit l'illustre historien allemand Ranke, la manifestation des idées coincide avec le commencement de leur réalisation». Cette vérité profonde est pleinement confirmée par l'histoire de la naissance et du développement de la Prusse. Les mêmes idées qui ont présidé à l'avènement de cet Etat à une existence politique indépendante, l'ont conduit à se conquérir une place très respectable parmi les puissances de l'Europe et mis un cachet particulier sur toute sa politique internationale dans le cours de plusieurs siècles.
«La Prusse, selon l'expression d'un profond penseur politique contemporain, est le produit d'un grand et remarquable travail politique». Elle est née «d'une sévère discipline» et d'un ordre intérieur vigoureux. Elle est avant tout la création de ses monarques. «On peut se représenter l'histoire d'Angleterre sans Guillaume III, dit l'historien von Treitschke, et celle de France sans le cardinal Richelieu; mais comprendre l'histoire de l'Etat Prussien sans ses souverains, est impossible». (Treitschke, Deutsche Geschichte im XIX Jahrhundert. Lpz. 1879, vol. I, page 29).
En effet, ni le duché de Prusse, ni le margraviat de Brandebourg ne sont redevables de leur origine au travail autonome de leurs habitants, tel que l'histoire a pu le saisir dans ces deux Etats. Non, la colonisation allemande conquit ces contrées sur des races ennemies et la race slave en particulier dut se courber sous le joug pesant des conquérants allemands. On sait dans quelles circonstances l'Ordre Teutonique s'établit en Prusse au XIII siècle. Il y apparaissait non seulement comme représentant de la force physique, mais encore comme le propagateur de la vérité chrétienne et le défenseur des intérêts d'une plus haute culture. Maintenant constamment un lien étroit entre ses propres intérêts et ceux de la politique et de cette civilisation plus élevée, l'Ordre s'assura un triomphe éclatant et définitif sur les populations incultes des pays conquis.
Il parvint à ce but par trois moyens: l'épée, la croix et la charrue. L'épée dompta la population récalcitrante de la Prusse; la charrue conquit la terre aux semences de la vie civile; sous le symbole de la croix devaient se développer les germes d'une nouvelle organisation gouvernementale et de la vie publique. Les brillants résultats réalisés par l'Ordre témoignent de la manière dont il remplit cette tâche difficile. Malgré la position géographique très désavantageuse de la Prusse, séparée de l'Allemagne d'où l'Ordre tirait son origine; malgré ses guerres continuelles avec la Pologne et la Lithuanie, enfin, malgré les insurrections fréquentes des populations conquises, les chefs de cette puissante association réussirent à maintenir leur indépendance politique.
Mais la Prusse ne parvint à ce but qu'aux dépens de la race slave et à son préjudice. En effet, on est en droit d'affirmer que c'est sur les ruines des communautés slaves riveraines de la Baltique que fut érigé l'édifice de la Prusse et plus tard, du Brandebourg. Non seulement l'Ordre guerroya constamment avec ses voisins slaves, mais il fut même obligé de subir des relations de vassalité avec la Pologne. Les Maîtres de l'Ordre voyaient dans les Polonais leurs plus mortels ennemis. Ils s'efforçaient par tous les moyens d'exciter la haine entre la Lithuanie et la Pologne; ils donnaient volontiers asile dans leurs châteaux à tous les mécontents des pays voisins, et dès le XIV siècle ils allaient jusqu'à former avec les souverains de la Suède, de la Hongrie et de l'Autriche un plan de partage de la Pologne! (V. Treitschke, Historische und politische Aufsetze, 1867, p. 35). Bien plus! Dès cette époque l'Ordre Teutonique voyait déjà dans l'alliance de la Russie le meilleur moyen pour anéantir son ennemi. Tous ces plans grandioses et ces vastes aspirations témoignent de la part de cet Etat allemand, fondé à l'extrême Nord, une telle vitalité qu'on ne peut se l'expliquer autrement que par les remarquables aptitudes gouvernementales de ses chefs.
Lorsqu'au XVI siècle s'effectua la réunion de la Prusse et du Brandebourg sous le même sceptre, les principes dirigeants que nous avons mentionnés plus haut continuèrent constamment à recevoir leur application. Les électeurs de Brandebourg et, par la suite, les rois de Prusse se distinguèrent presque toujours par la largeur de leur horizon politique et par un rare dévouement au bien public. Ils marchaient avec une résolution inflexible vers le but qu'ils s'étaient fixé : élargir les limites de leurs possessions et s'assurer une indépendance politique complète. А cet effet, il était indispensable, avant tout, d'organiser à l'intérieur de leur pays un ordre conforme aux voeux de leurs sujets et de favoriser par tous les moyens le développement du bien-être matériel et des forces intellectuelles de leur peuple. А côté de l'épée, de la croix et de la charrue, la science obtint dans le pays, à un rare degré, le respect du gouvernement et la sympathie de la société. Lorsqu'au XVI siècle la maison électorale de Brandebourg embrassa le parti de la Réformation, la Prusse prit ouvertement sous sa protection le mouvement dirigé vers le renversement de la primauté absolue de l'Eglise catholique romaine et favorable au libre et complet développement de la pensée humaine. Mais l'accession du Brandebourg à la Réformation eut en outre une influence décisive sur la politique internationale de cet Etat. En se séparant du catholicisme, le gouvernement de Berlin entra dans le camp des ennemis de l’Autriche catholique et césarienne. Cette résolution divisa tous les Etats Germaniques en deux camps hostiles : d’un côté l’Autriche catholique et une partie de l’Allemagne qui s’était placée sous le protectorat du pouvoir césarien, — de l’autre, le Brandebourg et les gouvernements allemands, décidés à ne pas permettre l’accroissement excessif du pouvoir des empereurs d’Allemagne et de la maison d’Autriche. Ainsi la lutte acharnée et implacable entre l’Autriche et la Prusse pour la primauté en Allemagne se présente comme la conséquence d’une loi historique irrésistible. On comprend d’après cela, pourquoi l’acquisition par l’Autriche des royaumes de Bohême et de Hongrie dut causer à Berlin un extrême déplaisir et des appréhensions justement fondées. Tout accroissement de la puissance de la maison d’Autriche, où la dignité d’Empereur d’Allemagne était devenue presqu’héréditaire, devait indiquer à la dynastie des Hohenzollern la nécessité indispensable de chercher au-delà des frontières de l’Allemagne un appui dans sa lutte contre son plus dangereux ennemi.
Dans le cours de plusieurs siècles le seul but de la politique de la Prusse vis-à-vis de l’Autriche consistait à lui persuader de renoncer au rôle prépondérant en Allemagne. Mais ce but n’a été complètement réalisé que de notre temps. La force des armes a seule pu résoudre cette question soulevée dès le XVI siècle et qui, pendant plusieurs siècles avait exercé une grande influence sur les relations entre la Russie et la Prusse. Ce n’est qu’aujourd’hui que, grâce à la Prusse, s’est élucidée la signification de l’Autriche comme «fait historique considérable», créé par la réunion violente de diverses nationalités sous un seul et même sceptre.
Si maintenant on demande: quels étaient les points de contact entre la Russie et la Prusse, on en trouverait plusieurs.
Ces deux Etats n’avaient pas seulement les mêmes ennemis, mais encore leurs destinées historiques présentaient quelques traits caractéristiques communs qui méritent de fixer l’attention.
Si la Prusse est le résultat du «travail historique» et «la création de ses souverains,» et si l’Autriche est «un fait historique créé par la réunion de diverses nationalités,» — la Russie présente à la fois l’un et l’autre caractère. La Russie a aussi été le résultat du travail historique de la nation et la création de ses Grands-Princes et de ses Tzars, chez lesquels ne s’est jamais altéré le sentiment de l’indivisibilité du territoire russe. Ni les dissensions permanentes, ni les continuels changements de Princes, ni même la répartition des terres durant la période des guerres intestines et des assemblées nationales (vetcha) ne purent étouffer la conscience de la communauté des intérêts politiques et de l’unité du pays. Après l’élévation de Moscou — l’unificatrice de la terre russe,—cette unité gouvernementale se manifesta sous la forme la plus satisfaisante : dans la personne des Grands-Princes et des Tzars de Moscou. Mais la Russie a aussi été un «fait historique» en ce sens que les nations et les races qu’elle a soumises ont été réunies par la conscience de l’unité gouvernementale, la communauté de leur passé historique et la solidarité des intérêts politiques. C’est là un fait historique qui a reçu la sanction des siècles ; il a été consacré par le sang de nombreuses générations qui ont porté le sacrifice de leur vie sur l’autel de la patrie commune ; il a enfin été confirmée par les lois de l’Etat.
Si les Grands-Mattres prussiens et les Électeurs de Brandebourg n’ont pu étendre les limites de leur pays et accroître sa signification politique que par leur persévérance inflexible à marcher vers le but qu’ils avaient en vue, les Grands-Princes de Moscou n’ont pas mis moins de constance pour réunir toutes les terres russes sous leur domination personnelle et unique. Si les Electeurs de Brandebourg ont converti leur pays en un refuge pour les partisans du mouvement religieux nouvellement apparu dans l’Europe occidentale, au commencement du XVI siècle, d’un autre côté Moscou est également devenu le centre du monde religieux de la Russie après que la Chaire Métropolitaine y eut été transférée. Si la Prusse de l’Ordre Teutonique devint le rempart opposé par le monde germanique «aux nations barbares de l’Orient,» la Russie de Kiew et de Moscou a soutenu le choc des peuples barbares venant de l’Asie et a préservé de leur invasion toute l’Europe occidentale et, par conséquent, aussi le «monde germanique.»
Mais il est facile de trouver encore plus de points de contact dans la sphère de la politique extérieure de la Prusse et de la Russie. L’Ordre Teutonique avait des motifs très fondés pour considérer les Polonais comme ses «ennemis mortels.» Le brave Etienne Bathory disait ouvertement que le but de tous ses efforts était l’anéantissement de l’Etat moscovite. L’union de la Lithuanie avec la Pologne porta un énorme préjudice à la Prusse et excita avec raison de vives appréhensions en Russie. Si, après la réunion de la Prusse au Brandebourg, tous les efforts du gouvernement de Berlin tendirent naturellement à s’affranchir de sa honteuse dépendance de la Pologne et à accroître son territoire aux dépens de cet Etat en décomposition, la Russie ne devait pas moins aspirer à diminuer la puissance de son ennemi séculaire et de son turbulent voisin. Par conséquent, l’alliance entre la Russie et la Prusse contre la Pologne était commandée par les intérêts vitaux de ces deux Etats.
Il est vrai, que la Prusse de l'Ordre Teutonique, aussi bien que l'Electorat de Brandebourg, avaient une crainte nerveuse de la puissance aggressive «des schismatiques russes», auxquels ils attribuaient une hostilité irréconciliable contre toutes les nations de l'Europe occidentale, et tous les fruits de la civilisation et de la culture européennes. Mais il suffit au gouvernement prussien de connaître de plus près les tendances véritables de la Russie pour qu'il renonçât à ces idées préconçues.
Lorsque plus tard, au XVII siècle, l'Electorat de Brandebourg commença à aspirer à l'acquisition du littoral de la Baltique, c'est-à-dire de la Poméranie, appartenant à la Suède, une nouvelle base s'offrit à un rapprochement étroit avec la Russie qui s'efforçait également à bon escient, d'enlever aux Suédois les pays Baltiques, qu'ils avaient conquis. La Suède se trouvait ainsi au nombre des ennemis communs de la Prusse et de la Russie.
Enfin, en ce qui concernait l'Autriche, la Russie de Moscou ne pouvait pas avoir pour cette puissance une hostilité implacable. Au contraire il y avait beaucoup de motifs qui portaient ces deux Etats à avoir entre eux des rapports d'amitié et à vivre en paix l'un avec l'autre. (V. l'introduction du Tome 1-er). Si d'autre part, l'Electorat de Brandebourg trouvait déjà nécessaire de rechercher l'appui de la Russie contre les dangers qui le menaçaient de la part de l'Autriche, on comprend que cet appui ne pouvait lui être accordé qu'à la condition de concessions faites aux intérêts russes par le gouvernement de Berlin. Du moins, dans le cours de ses négociations avec les Electeurs de Brandebourg et les rois de Prusse, le gouvernement russe témoigna à plus d'une reprise combien il avait conscience du besoin pressant que la Prusse avait du secours de la Russie dans sa lutte avec l'Autriche. Plus cette conviction mûrissait de la part de la Russie, plus sa voix devenait décisive dans les affaires germaniques, et même en partie dans celles de toute l'Europe occidentale.
Arrivons maintenant à l'exposé des négociations diplomatiques entre la Russie et la Prusse au commencement du XVI siecle.
En 1516, le Grand-Maître de l'Ordre, Albert, témoigna aux envoyés moscovites revenant de Vienne, son désir d'entrer en alliance avec Moscou. En février de l'année suivante, parut à Moscou le premier envoyé prussien, Dietrich von Schomberg, avec la proposition de conclure une alliance solennelle contre le roi de Pologne. Pour assister Schomberg, Albert envoya encore le conseiller Melchior von Ravenstein. Les négociations entamées entre ce Schomberg et les boyards désignés par le Tzar Wassily Ivanowitch, furent couronnées d'un plein succès , remarquable par sa rapidité.
Déjà le 10 mars 1517, le traité d'alliance fut conclu entre le Tzar de Moscou et le maregrave de Brandebourg. Ce traité est le premier acte international qui ait été conclu entre la Russie et la Prusse; à ce titre il est digne de fixer l'attention.
Voici la substance de son contenu d'après un écrit qui se conserve dans les Grandes Archives du Ministère des Affaires Etrangères à Moscou.
Après le titre du Tzar de Russie et du «Grand-Maître de l'Ordre de Prusse», il est dit dans le texte latin de l'exemplaire du traité qui fut remis aux mains des envoyés du Grand-Maître: «Minimus rogando at Mangnum dominum nostros nuntius properea ut nobis mangmus dominus faceret gratiam et favorem contraque suum Inimicorum regem polonie In unitate nos secum faceret et defendere vellet nos atque nostram terram a suo Inimico rege polonie et Mangno duce Litivanie.
Mangnus autem dominus Basilius dei gratia Imperator ac dominator totius Russie et Mangnus dux nobis Alberto theutonicorum ordinis generali Magistro et cum fecit gratiam contra istum suum Inimicum Sigismundum regem polonie In unitate nos secum ordinavit et Litteram suam faciendo gratiam nobis super hoc dedit per nobis atque pro nostra terra volt stare et defendere nos ac nostram terram a suo inimico rege polonie et Mangno duce Litivanie vult et subsidium nobis contra illum suum inimicum vult prestare quantum Sibi Deus adjuvabit.
Quando autem Mangnus Dominus Basilius Dei gratia Imperator, Dominator totius Russie et Mangnus dux personaliter equum ascendet et sibi contra suum Inimicum regem polonie et Mangnum ducem Lituanie aut principes et duces suos cum sua potentia.... ipsius terrammitteret nobis autem Alberto nuntiaverit tunc nos Albertus ordinis theutonicorum ordinis generalis Magister cum nostris amicis et cum tota nostra potentia. In ipsius Inimici rege polonie et mangni ducis Lituanie terram quam possidet etiam ibimus et agere debemus nos Albertus ordinis theutonicorum generalis Magister illud mangni domini actum cum isto ipsius inimico rege polonie cum mangni domini Principibus et ducibus In hac expeditione unanimiter et si esset aliqua causa nobis Alberto theutonicorum ordinis generali magistro cum illo ejus inimico rege polonie et mangno duce Lituanie.
Si ibimus contra ipsum personaliter et cum nostris amicis et cum tota nostra potentia et mitteremus rogando at mangnum dominum tunc mangnus dominus basilius dei gratia Imperator ac dominator totius Russie et mangnus dux nobis generali Magistro contra istum suum Inimicum Sigismundum regem polonie et mangnum ducem Lituanie vult adjuvare nosque mangnus dominus et nostram terram vult defendere quantum sibi deus juvabit et principes ac duces suos in ipsius terram vult mittere et Inimiciam Mangnus dominator Inimico suo regii polonie jubebit facere quantum sibi deus adjuvabit, nos autem Albertus theutonicorum ordinis generalis magister contra istum mangni dominaris Inimicum regem polonie debemus stare firmiter et constanter debemusque cum mangno domino contra istum ejus Inimicum in illa expeditione esse in unitate.
Quos autem suos oratores mangnus dominus Basilius dei gratia Imperator ac dominator totius Russie et mangnus dux ad fratrem suum Maximilianum electum Imperatorem romanorum et supremum regem et ad alios dominos per nostram terram mitteret vel ad mangnum dominum ex parte fratris ejus maximiliani electi Imperatoris romanorum et supremi regis transibunt sui oratores et fratris ejus Maximiliani et ab aliis dominis transibunt oratores ad mangnum dominum per nostrum terram, tunc mangni dominatoris et fratris ejus Maximiliani electi romanorum imperatoris supremique regis oratoribus aliorumque dominorum oratoribus per nostrum terram ac per aquam via munda absque omni Impedimento.
Simili modo et magni domini oratoribus ad nos venire et redire per terram et per aquam via munda sine omni impedimento similiter etiam mercatoribus, quos autem ad mangnum dominum nos Albertus theutonicorum ordinis generalis magister mitterenus nostros nuntios tunc nostris nuntius per ejus dominia per terram et per aquam via munda sine omni impedimento et venire eis ad mangnum dominum et redire libere absque omni Impedimento etiam nostris mercatoribus...
Ce premier traité international entre la Russie et la Prusse que nous venons de rapporter à peu près en entier, ne constituait pas seulement une alliance ofiensive et défensive contre la Pologne, il devait en même temps inaugurer des relations diplomatiques régulières entre les deux Etats contractants. Bien plus, le Grand-Maître s’engageait également à laisser passer sur ses territoires les ambassadeurs russes sans aucune difficulté dans le cas où ils seraient envoyés dans d’autres Etats de l’Europe occidentale.
Le traité de 1517 fut confirmé de la part de la Russie par trois des boyards de l’intimité du Tzar, qui après avoir baisé la croix, y apposèrent son sceau d’or. Ensuite, au mois de mars Dmitri Davydoff, fils de Zagriajsky, fut envoyé en Prusse en qualité d’ambassadeur accompagné du clerc Schemet et de l’interprète Mitia. Ce Zagriajsky, le premier ambassadeur russe en Prusse, avait reçu deux missions: en premier lieu, il devait appeler le Grand-Maître à prêter serment au traité conclu à Moscou et, en second lieu, il était autorisé à promettre un subside pécuniaire pour un corps de 12 mille hommes de troupes prussiennes, en vue de la guerre contre la Pologne.
Ainsi fut posée la première base à des relations diplomatiques permanentes et régulières entre la Russie et la Prusse. Dans le cours des années suivantes, le traité d’alliance de 1517 servit constamment de prétexte à la Prusse pour réclamer l’envoi de Moscou des subsides promis pour la guerre contre la Pologne. Déjà en août 1517, parut à Moscou un nouvel envoyé prussian, Ravenstein, chargé de demander les 50 mille «grivens» de subside promis. Il fut déclaré à l’envoyé que le Tzar ne délivrerait cette somme que lorsqu’il se serait convaincu de la résolution du Grand-Maître prussian, de garder pour lui les villes polonaises conquises et de marcher sur Cracovie avec ses troupes. Plus tard, en mars 1518, Schomberg revint encore à Moscou pour demander de l’argent, au moins pour 1000 hommes d’infanterie prussienne. Mais en même temps l’envoyé dut excuser la conduite de son Souverain qui n'avait pas poursuivi la guerre contre les Polonais, parceque l'empereur d'Allemagne lui avait conseillé de se réconcilier avec eux. Enfin Schomberg adressa encore une demande: Albert priait le Tzar de le recommander à l'amitié du roi de France, auquel il etait également nécessaire de communiquer le traité conclu entre la Russie et la Prusse.
Le Tzar Wassily Iwanowitch déféra immédiatement à cette dernière demande. Il écrivit deux fois au roi de France François I-er, en 1518 et 1519, concernant son amitié pour le Grand-Maitre de Prusse, maregrave de Brandebourg, en le priant d'accorder à ce dernier toute l'assistance possible. Quant à la demande de subsides, Sergueiew fut envoyé de Moscou à Berlin en avril 1518, avec une somme suffisante pour l'entretien d'un corps de 1000 hommes. Mais le gouvernement moscovite, dans sa prévoyance, ordonna à son envoyé de laisser cette somme à Pskow avec le clerc Kharlamow, et de ne la délivrer au Grand-Maitre que si ce dernier ouvrait effectivement la guerre contre les Polonais. Si, au contraire, l'envoyé acquérait la conviction que la guerre n'aurait pas lieu, l'argent devait rester à Pskow. Sergueiew ayant mandé à son gouvernement que le prince prussien avait l'intention de se réconcilier avec la Pologne, les subsides furent gardés à Pskow.
En effet on reçut bientôt de Berlin la nouvelle officielle de la conclusion de la paix entre la Prusse et la Pologne.
En 1519 Schomberg arriva de nouveau à Moscou, apportant cette fois une proposition tout à fait spéciale et extrêmement curieuse. Il annonça d'abord la paix avec la Pologne et ajouta que son souverain désirait voir également la paix rétablie entre la Russie et le royaume de Pologne. La paix entre le Brandebourg et la Pologne avait été conclue grâce à la médiation du Pape qui désirait actuellement établir une alliance entre tous les Etats chrétiens contre les ennemis déclarés de toute la chrétienté c'est-a-dire les Turcs.
La Russie devait également prendre part à cette alliance. Bien plus : le Pape au dire de l'envoyé de Brandebourg, désirait faire rentrer l'Eglise Orthodoxe de Russie dans le giron de l'Eglise Catholique romaine et il consentait à élever le métropolitain de Moscou à la haute dignité de Patriarche. Enfin le Pape voulait encore faire une autre grâce au Tzar de Moscou : il voulait le couronner comme souverain chrétien!
Il est facile de pressentir quelle fut la réponse du gouvernement moscovite à ces ouvertures. Il passa sous silence les étranges prétentions du Pape et s'exprima, avec mépris concernant la gracieuse proposition de couronner les Tzars de Moscou comme souverains chrétiens. Quant à la Pologne, le Tzar ordonna de dire à Schomberg qu'il consentait à faire la paix avec elle. Cette ambassade de Schomberg en 1519 sut la dernière de celles qui, dans le cours du XVI-e siècle, méritent de fixer l'attention. Après l'année 1519, plusieurs envoyés prussiens arrivèrent encore à Moscou pour demander instamment des subsides en vue de la guerre contre la Pologne. Ces demandes ne furent pas toujours prises en considération par le gouvernement moscovite. Mais les affaires de Pologne furent l'objet exclusif des négociations diplomatiques, et l'on peut voir par le fait suivant combien étaient amicales les relations entre la Russie et la Prusse : après la mort de Maximilien I le Grand-Prince Wassily Ivanowitch proposa le marcgrave de Brandebourg pour lui succéder comme Empereur d'Allemagne.
En 1520 toutes les négociations diplomatiques directes entre la Russie et la Prusse cesserent. Du moins nos archives ne contiennent aucun document ayant trait à des relations avec la Prusse depuis 1520 jusqu'à 1650. Il est difficile de supposer que durant près de 130 ans il n'y ait eu aucun échange d'idées 'entre les deux puissances et qu'elles ne se soient pas demandé mutuellement assistance en vertu du traité de 1517 contre leur ennemi commun — les Polonais. L'absence de toutes relations diplomatiques serait inexplicable. Mais d'autre part, si l'on prend en considération l'état de choses créé en Allemagne par le mouvement de la Réformation, et si l'on se rappelle les guerres, et surtout celle de 30 ans, où le Brandebourg et la Prusse furent obligés de prendre une part très active, on peut admettre en partie la supposition d'une interruption si prolongée des rapports diplomatiques entre la Russie et le royaume en voie de formation dans le Nord de l'Allemagne.
En effet les guerres de religion de la fin du XVI siècle et du commencement du XVII, affectaient exclusivement l'Europe occidentale, dont la Russie de Moscou ne se considérait pas encore comme un membre indispensable et de plein droit. La Russie de Moscou ne pouvait prendre aucune part ni aux luttes entre les puissances catholiques d'un coté et les puissances protestantes de l'autre, ni à la guerre de 30 ans, ni aux conflits pour l'équilibre européen. La Russie ne reconnaissait pas les intérêts mêlés à ses longues et sanglantes collisions et elle ne pouvait avoir aucun désir d’y intervenir.
En outre il n'est pas inutile de rappeler qu' elle était la situation intérieure de l'Etat moscovite à la fin du XVI siècle et au commencement du XVII Ni le règne de Féodor Ivanowitch, ni l’administration odieuse à la nation russe de Boris Godounoff, ni moins encore les temps troublés de l’interrègne, n’étaient de nature à favoriser le développement des relations régulières avec les puissances étrangères.
Du reste, malgré les circonstances ci-dessus énumérées, il n’en est pas moins difficile de croire qu’il n’y ait eu pendant ces 130 années aucun rapport direct entre la Russie et le Brandebourg. Cela est d’autant moins vraisemblable que les archives témoignent, durant cette période, de relations suivies avec d’autres puissances étrangères, comme l’Angletterre, le Danemark, la Suède et la France. Après l’avènement de Michel Féodorowitch Romanow au trône moscovite et la reprise des relations diplomatiques avec diverses puissances de l’occident de l’Europe, il est naturel de croire que les rapports se renouvelèrent également avec la Prusse ou l’Electeur de Brandebourg. Cette supposition semble d’autant plus fondée que le gouvernement de Moscou entretenait des relations directes avec quelques autres membres du „Saint Empire Romain de la nation Germanique.“ En 1634, il fut conclu à Moscou une convention avec les envoyés de Holstein, Philippe Crutius et Othon Brugeman, concernant l’autorisation accordée à une compagnie de négociants holstinois de commercer avec la Perse et les Indes, en traversant le territoire moscovite.
D’après ces considérations, on peut penser que la correspondance politique entre la Russie et la Prusse durant la période de 1520 à 1650 a été détruite, probablement pendant les troubles de l’interrègne.
1656, 12 (22) septembre.
Traité d'alliance signé sous les murs de Riga par la Russie et l'Electeur de Brandebourg, pour confirmer l'alliance antérieure de 1517.
(Col. des lois, № 191).
Les rapports diplomatiques directs entre la Russie et la Prusse ne reprirent naissance, conformément aux documents contenus aux archives de l'Empire, qu'à partir de l'année 1650. Au mois de mars de cette année arriva à Moscou le juge brandebourgeois et commissaire Reiff, porteur d'une lettre de l'Electeur Frédéric Guillaume, dans laquelle ce dernier s'excuse de n'avoir ni lui ni son père été en mesure de rétablir les anciens rapports d'amitié avec l'empire moscovite. L'Electeur explique son silence par les guerres qui pendant bien des années ont désolé l'Allemagne. Le but de cette ambassade était pourtant d'obtenir du gouvernement moscovite la permission d'exporter de Russie en Prusse via Archangel deux mille lastes de seigle. Le grand Electeur signala dans sa lettre les dévastations épouvantables auxquelles l'Allemagne a servi d'arène et qui y ont amené la famine, aussi a-t-elle un besoin pressant de pain étranger.
L'envoyé prussien fut accueilli avec beaucoup de faveur par le Tzar Alexis Michailovitch, qui ordonna de livrer des magasins d'Archangel 5000 tcheverts de blé (à 3 iéfimka). Le Tzar ajouta qu'en Russie le pain n'était pas cher et que divers autres Etats, le Danemark, la Suède, la Hollande surtout, pour en obtenir, ont eu recours au gouvernement de Moscou.
Les relations directes renouvelées dans ces circonstances n'ont fait dorénavant que se développer graduellement. Au mois de mai de cette même année 1650 le podiatchy Porochine fut envoyé à l'électeur de Brandebourg afin de lui annoncer l'entrée en campagne contre la Pologne, qui ne cessait de violer tous les droits en rabaissant la dignité et l'honneur de Sa Majesté Tzarienne. Afin d'appuyer cette assertion de preuves, Porochine devait montrer à l'électeur des livres polonais dans lesquels le titre du Tzar avait été imprimé d'une façon tout-à-fait erronde. Le gouvernement moscovite y voyait une insulte à Sa Majesté Tzarienne.
L'Electeur Frédéric Guillaume fit le meilleur accueil à Porochine. Il remercia de l'autorisation qui lui avait été donnée d'acheter du pain à Archangel et exprima son regret de la guerre qui venait d'éclater entre la Russie et la Pologne. Le grand électeur ne put cependant taire sa surprise en apprenant que la cause des hostilités était la façon dont on avait imprimé en Pologne le titre du Tzar; il offrait cependant aux deux belligérants ses bons offices pour le rétablissement de la paix. (Lettre responsive de l'électeur, datée du 11 juillet 1650.) Avant de revenir dans ses foyers, l'envoyé russe obtint du conseil privé de Brandebourg un document (du 14 juillet) d'après lequel l'électeur reconnaissait au Tzar le titre qui lui avait été donné par ses ancêtres. Ce titre était: Tzar et Grand Prince (Zaar und Gross-Fürst). Mais à cette même occasion, le conseil privé exprima le souhait que les Russes, de leur côté, ne manquassent pas de donner à l'électeur un titre conforme à sa dignité: Altesse Electorale (Churfürstliche Durchlaucht.)
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